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Extraits de l'allocution que nous a fait l'honneur de prononcer
notre Ministre de la Défense, Monsieur
DALI Jazi, à l'occasion du vernissage du site Nabeul.net, le
28 décembre 2002
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[...] Quand on m'a dit à fin du mois de novembre qu'il
existait un site appelé Nabeul.Net, je me suis dit qu'on ne pouvait pas
être à Nabeul et ne pas être net…
Et c'est avec un certain enthousiasme que j'ai pianoté l'adresse
[...]. Monique Hayoun ne vous en a donné qu'un aperçu rapide : j'ai appris
beaucoup de choses ; il y a toujours quelque chose à apprendre quand on
veut savoir. Je remercie Monique d'avoir beaucoup travaillé pour élaborer
ce site [...], je lui suis reconnaissant de ce travail qui en fait traduit
bien l'esprit de la Tunisie d'une façon générale et de Nabeul d'une façon
particulière [...].
Je ne vous parlerai pas de l'Histoire
[de la ville], le site en parle largement, mais comment m'empêcher, moi, à 60 ans,
d'avoir quelques souvenirs… je voudrais dire, d'abord, que notre maison familiale,
la maison de mon père - pas celle où je suis né, qui n'est plus la nôtre, mais celle
qui se trouve rue Marbella ; aujourd'hui la rue s'appelle Marbella, et on parle du Bon
Kif : pour moi, elle reste la maison de 'Am Mokhtar Kallelbr>
Parmi les souvenirs d'enfance, c'était les petits garçons, les petits
camarades de la rue, petits Juifs avec leur calotte qui venaient prendre
des cours d'hébreu et de religion, et qui parfois s'enfuyaient comme nous
le faisions quand on nous emmenait au kouttab [...]. En allant un peu plus
loin, au fond de la rue, il y avait le Palace Bonan et quelle ne fut pas
mon émotion de lire un jour un roman évoquant le Palace Bonan et la vie
des nombreuses familles qui l'habitaient [...] ! Quand tu parles d'
Elie
Kakou, je n'ai pas connu Elie, mais j'ai connu ses frères : deux d'entre
eux étaient mes camarades d'internat au lycée de Carthage. Un peu plus loin
dans la même rue, il y avait Claudia Koskas, ma copine de lycée, au lycée
de Carthage [...]. Quand on revenait le week-end à Nabeul, on s'arrangeait
pour que ce soit tantôt mon père qui nous ramenait, tantôt le sien [...].
Je voudrais évoquer un deuxième souvenir, cette fois-ci pas très loin d'ici
1, rue Ibn Khaldoun, aujourd'hui en face de la maison de l'électricité,
à l'époque où y habitait M. Graff, qui est le père du basket-ball
et de la natation à Nabeul ; dans cette rue, il y a la maison de mes grands-parents
: Bay Lamine Tabane, mon grand père, et ma pauvre mère, qui avait obtenu
son certificat d'études dans l'école israélite de cette même rue, qui, jusqu'à
sa mort, à 80 ans, lisait un roman en français par semaine, mais qui n'a
jamais appris à lire ou écrire l'arabe parce qu'à l'époque les petites Nabeuliennes
musulmanes n'étaient pas scolarisées.
Troisième souvenir : avenue Farhat Hached aujourd'hui en face de la maison
des Mribi [...] il y avait là au coin [...] un bureau qui tenait lieu de
club, de café ou de coin de réunion (juifs ou musulmans, les bourgeois de
la ville ne se rendaient pas au café). Mon père avait donc ce pied-à-terre
qui était là, et puis un jour un Juif tunisien, M. Gaoui a voulu ouvrir
une officine et mon père a aidé Si Gaoui en lui donnant son " bureau " comme
il disait, entre guillemets… [...] mon souvenir d'enfant, c'est que mon
père avait une jebba et des moustaches blanches et Bay Oueslati Chiche
le père d'Elie, de Lilli, et de Clément Chiche , Bay Oueslati
Chiche, qui avait une boucherie-triperie, était aussi en jebba avec
de grandes moustaches blanches et une chéchia. [...] si j'évoque [le passé],
c'est parce qu'il y a parmi nous des amis français, une amie belge, ainsi
qu'une jeune génération issue de Nabeuliens et qui ne connaît pas forcément
Nabeul et les Nabeuliens.
Je voulais vous dire qu'à Nabeul comme à la Goulette, Sousse, Gabès, et ailleurs en
Tunisie, il y a toujours eu une vie communautaire extrêmement riche, une coexistence
exceptionnelle et avant d'être juif ou musulman on était avant tout Tunisien [...] ;
les unions les plus heureuses ne sont pas sans nuages : la distance consécutive à
l'Indépendance, le départ de ceux qui étaient liés par des activités économiques, ou
soucieux de l'avenir de leurs enfants, de ceux qui avaient pris la nationalité
française par la volonté de la France plus que par la leur… Il y a eu beaucoup de
départs, il n'y a eu jamais de rupture. [...] Le président Ben Ali a voulu [...]
faire revivre cette coexistence intercommunautaire, cette fraternité, et
je suis très heureux de constater que si nous sommes là ce soir pour parler de
Nabeul.Net, c'est parce qu'en fin de compte, on ne s'est jamais quittés [...]. Il ne
s'agit donc pas uniquement de nostalgie, comme lorsque j'évoquais mes souvenirs
d'enfance, mais d'un présent qu'ensemble nous construisons ici et maintenant et je
voudrais vous dire, en tant que ministre, aussi bien qu'à titre personnel, que
Désirée et Monique sont les dignes ambassadrices de cette Tunisie-là ; celle
d'aujourd'hui, celle de toujours.
J'ai assisté au colloque sur l'Histoire de la communauté juive tunisienne,
organisé par le département d'Histoire communautaire de la Faculté
des lettres de la Manouba. Il y avait là des universitaires, musulmans
de Tunisie, d'autres, universitaires français, juifs de Tunisie, qui se
sont succédés, et qui ont présenté des communications de grande valeur.
Les actes
ont été publiés, les étudiants et les enseignants qui formaient le public
ont manifesté le plus grand intérêt pour l'histoire de cette partie de la
nation tunisienne, histoire qu'ils connaissaient mal, ou qu'ils ignoraient
parfois ; les questions ont été nombreuses, et l'échange enthousiaste et
enrichissant. Ce colloque ne pouvait se tenir dans aucun autre pays arabe,
et il ne s'est jamais tenu sur notre sol depuis l'Indépendance, il a pourtant
eu lieu à Tunis il y a 5 ans ; la volonté politique du président Ben Ali
traduit l'importance qu'il accorde à la culture, à notre Patrimoine, et
sa conscience de la nécessité de renouer des liens parfois distendus, toujours
puissants, de les raffermir et de les maintenir enfin pour une Tunisie telle
qu'en elle-même.
[...] je voudrais me projeter un peu dans l'avenir, et
je m'adresserais plus particulièrement aux plus jeunes d'entre vous : l'avenir
est à vous, quelque rapport que vous ayez avec votre culture d'origine,
dans vos veines coule le sang de ceux qui ont vécu sur cette belle terre
du Cap Bon, aussi, même si vous n'êtes pas nés à Nabeul, et si vous ne venez
à Nabeul que d'année en année, pour quelques jours de vacances, venez à
la recherche de votre mémoire, venez à la découverte du passé qui nous unit,
parce que plus que jamais le monde aujourd'hui a besoin de cette intelligence
du passé, qui est intelligence du présent, et qui permet de construire un
avenir meilleur : trop de haine dans le monde aujourd'hui, trop de sectarisme.
Nous avons besoin de mieux nous comprendre, pour mieux nous respecter [...]
la Tunisie, pays petit par sa géographie, est grand par la richesse de sa
culture, fruit d'une Histoire plurimillénaire. [...] Il y a sur le site
une page consacrée aux hommes célèbres, je demanderai qu'on corrige, qu'on
y ajoute " & femmes célèbres " : la liste serait longue, certes, mais je
songe que bientôt il faudra y inclure Désirée Haddad et Monique Hayoun pour
les éminents services qu'elles nous rendent à tous, en contribuant à raffermir
encore ces liens de fraternité qui nous unissent : merci pour ce que vous
avez fait, pour ce que vous faites, et j'espère que nous aurons le bonheur
de nous revoir souvent.
[...] Je n'ai jamais eu plus singulièrement conscience de ma
nabeulianité que ce jour-là : j'étais ministre de la santé, et de passage
à Paris. Un de mes neveux, sachant que je revenais des Etats-Unis, voulait
me faire plaisir en me proposant un couscous. " Oui, pourquoi pas ! ", et
il m'a emmené à la Boule Rouge et pendant que j'étais entrain de dîner,
je notais que le mouvement avait quelque chose d'inhabituel. - Un serveur,
petit de taille, avec l'air bien de chez nous, s'approche de moi : " Vous
êtes monsieur Untel ? " Je lui dit " oui. " " Votre grand père, c'est Si
Lamine ? Votre père, c'est Si Majid ?" " Oui ". Il me dit alors : " j'étais
pompiste chez Mohamed Ameur. - Depuis tout à l'heure, on prend les paris
au comptoir, l'un dit "c'est lui", l'autre dit que non, moi je suis venu
me renseigner… " Je lui confirme alors que c'est bien moi, et le voilà qui
se retourne en s'écriant " L'ouzîr en-Nâbli ! l'ouzîr en-Nâbli ! "… Ce soir-là,
j'ai fait la connaissance de quatre enfants du pays, à Montmartre, où, au
bout du monde, il faisait bon être Nabeulien : le patron, qui ne savait
pas que je connaissais sa sœur [Désirée Haddad, - NdlW], a refusé que je
règle l'addition : " un Nabeulien ici ne paie jamais ", m'a-t-il dit.
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1) note infrapaginale : "Le vernissage au eu lieu à l'hôtel Khéops, avenue Mohamed V".
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